Sardaigne – 19.12.2021

Mer méditerranée, le 19.12.2021

Cher.e.s Jules et Maria,

Je pars dans le froid et le lever du jour. J’ai oublié de remplir ma gourde. Mais tant pis. Je m’en suis rendue compte très vite. Je pourrais retourner toquer chez Charlotte pour la remplir mais c’est tôt le matin et je n’ose pas.

C’est le lever du jour. Vous savez, au tout début du matin, quand tout est givré. Les couleurs pastels du ciel. Les rayons de soleil qui passent entre les feuillages. La vapeur d’eau qui s’échappe des arbres et de la route. 

Il n’y a personne sur les routes, pas de voiture. J’aime bien ce matin.

Et puis il y a la départementale D 43. Beurk.

Beaucoup trop de stress et de voitures. Ça monte un peu. J’ai du mal à trouver les bons itinéraires. J’aime quand il y a une seule route à suivre et que je ne suis pas obligée de m’arrêter à chaque carrefour pour regarder mon téléphone. Ce que je préfère, c’est quand quelqu’un a déjà préparé l’itinéraire et que je n’ai qu’à le suivre sans me soucier de la route. Ca me fatigue de m’arrêter sans cesse.

Le stress du test covid que je dois faire avant de prendre le bateau est dans ma tête toute la journée. Que se passera-t-il si le test est positif ? Je vais devoir rappeler toutes les personnes qui m’ont hébergée jusqu’ici pour leur dire qu’il.elle.s sont “cas-contacts”. Je n’ai franchement pas envie de faire ça. Je crois que j’ai plus peur de ça que du fait de ne pas pouvoir prendre le bateau.
Mais au fond de moi je sais que je n’ai pas le covid. Je pense sincèrement que je l’ai déjà eu d’ailleurs, vu tous les lieux où je suis passée dans lequel il a tourné…

Je passe dans les petits villages du sud.
Je passe dans les champs d’oliviers.
Je sens une odeur de journée d’hiver ensoleillée.
Je passe à Solliès-Toucas. Là où a vécu ma tante et son ex-mari avec leurs trois enfants pendant plusieurs années.
Cet oncle était un peu bizarre. Je crois que personne ne l’aimait trop dans la famille. Tout était compliqué avec lui. Il est vétérinaire.
En passant par ce village je me dis « et si je le croisais ? ». Ce serait trop bizarre. Franchement je ne pense pas que je vais le revoir un jour.
C’est le père de ma filleule. Ma filleule c’est Charlie. C’était son anniversaire avant-hier.

Cette nuit j’ai rêvé que 30 000 € arrivaient sur mon compte bancaire, je ne pense pas avoir déjà rêvé que j’avais autant d’argent.
J’en ai marre de cet après-midi. Le vent souffle contre moi. Je trouve enfin de l’eau dans une fontaine.

Je suis dans un parc, à Toulon, au soleil c’est agréable. Il y a deux petites filles qui jouent dans l’herbe. L’une d’elles est à craquer. Ces derniers temps je suis en amour devant les enfants, et les bébés, surtout les bébés. Je me demande si ce sont mes hormones qui envoient des messages à mon corps pour que je me reproduise.

Je stresse pour mon test covid. J’écoute les messages sur mon téléphone que j’ai accumulés depuis mon départ. Puis, ça y est, c’est l’heure du rendez-vous à la pharmacie.
Je me demande si je vais vous croiser ici. Je me demande si vous avez maintenu votre voyage malgré toutes les nouvelles mesures sanitaires.

Il y a trop de monde. Je ne comprends rien. 

Je fais la queue pour entrer, puis on m’indique une autre queue. J’attends. C’est pour s’enregistrer avant de faire le test. La pharmacienne me demande si je suis vaccinée. Je dis que non. Elle me dit que alors je dois payer. Je sais. Elle me demande 30,01€. Zut j’avais préparé 25€. Mais on est dimanche, alors c’est plus cher. Je lui donne une poignée de pièces de 50c, 1€ et 2€ en lui disant “voilà déjà 25€”, je vais trouver le reste. Elle me voit chercher des pièces au fond de mon porte-monnaie. Elle me dit “Si vous n’avez pas les 1 centimes ce n’est pas grave”. Je lui dit que bien sûr que j’ai les 1 centime. Et je lui donne le compte en petites pièces jaunes. Je ris intérieurement de ce paiement en liquide, un peu provocateur.
Puis, je vais faire la queue à un autre endroit, encore.
C’est long. C’est stressant. 

J’attends longtemps, 30 minutes peut-être. Debout entre les rayons de serviettes hygiéniques, des cups, des culottes menstruelles et des savons intimes. 

C’est mon tour, on me demande ma carte vitale. Je dis que je ne suis pas vaccinée donc qu’ils n’en n’ont pas besoin. Les deux personnes qui sont là me regardent et me disent en rigolant que ce n’est pas grave que je ne sois pas vaccinée parce que j’ai un gilet jaune, mais qu’il leur faut quand même ma carte vitale.

Parfois je me demande ce que pensent les gens de moi dans les magasins avec mon casque jaune que je ne quitte jamais, mes gants-mitaines et parfois mon gilet jaune comme aujourd’hui. Je ne me rends pas compte mais je me dis que peut-être, inconsciemment, je fais ça pour rester dans la mémoire des gens.
Pour que, quand ils rentreront chez eux le soir, ils racontent qu’ils ont vu une jeune fille qui voyageait seule à vélo et qu’elle était habillée tout en jaune. Ça m’amuse de penser cela. Est-ce que je joue un rôle ? Est-ce que je joue le rôle de la voyageuse bizarre et solitaire ? Où est-ce que je suis moi ? Peut-être qu’en fait je suis moi en jouant ce rôle.

“Vous recevrez un sms sur votre téléphone avec un lien pour accéder aux résultats, si le test est négatif alors c’est bon, si il est positif, vous revenez”

Je sors dehors. Je décroche mon vélo, je guette mon téléphone toutes les 30 secondes. Je regarde le site de la sncf “au cas où”, car si j’ai le covid, il faudra bien que j’aille quelque part ce soir. Il y a encore un train pour rentrer à Vienne.

Le sms arrive. Le résultat est négatif. Quel soulagement ! Je monte sur mon vélo et me dirige vers le port.

J’arrive dans le bateau, il est immense, vraiment. Je ne me souvenais pas que c’était si grand un Ferry. À l’intérieur c’est bizarre il y a de la moquette partout. J’erre un bon moment en long et en large sans savoir quoi faire. Je ne sais pas où aller, je n’ai pas de cabine. Puis, je vais me poser dans le bar qui donne vue sur le dehors, à l’avant du bateau. Il fait noir mais je retrouve une sensation de respirer, les couloirs du ferry ont quelque chose d’oppressant que je ne saurai expliquer.
Je suis à peine assise là que ça y est je vous vois tous les deux. Je ne savais pas vraiment si on allait se voir. C’est drôle cette coïncidence. Nous nous sommes rencontrés tout récemment et il y a 2 semaines, nous discutions alors que je préparais une exposition qui aurai lieu chez vous. Vous me disiez que vous aviez pris des billets de bateau. Je vous ai demandé pour aller où ? C’est alors qu’on s’est rendus compte qu’on partaient à la même date pour la même destination par le même bateau ! On ne s’est pas donné de nouvelles et on se retrouve dans ce bateau. Vous me racontez que vous attendez un bébé. Je suis émue. C’est drôle la vie. On discute de nos histoires, de l’éducation, de la drôle d’ambiance des ferries et des casinos. Un jour j’aimerai aller dans un casino et gagner une partie de poker. Drôle de fantasme.
Jules tu fais remarquer qu’il y a beaucoup de chiens dans le bateau. C’est vrai. Je me couche entre deux banquettes de sièges, je tourne la tête et je vois un chien à quelques dizaines de cm de mon visage…

Maëlle

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