Sardaigne – 15.12.2021


Domène, le 15.12.2021


Chère Zélie,

Ce matin je pars avec mon vélo, depuis chez mes parents.

Pour moi partir c’est bizarre, c’est un peu plus bizarre à chaque fois que je pars.
Hier soir je n’avais pas envie, j’avais plus envie de rester chez mes parents, au chaud, à ne rien faire, à regarder le feu, à cuisiner des choses et à demander à ma maman de me masser. Mais l’envie de partir, l’envie de pédaler, le challenge des km, le dénivelé, le froid. Tout ça m’appelle, depuis quelque part. Depuis mes entrailles je crois.
Cette envie de parcourir des kilomètres à vélo, c’est étrange.
Pourquoi j’ai besoin de m’infliger cette sortie de zone de confort ? Qu’est-ce que je veux me prouver une fois de plus ? Que je suis capable ? Je veux voir si c’est possible, si je ne vais pas abandonner. Est-ce pour renforcer mon corps que je sens cet appel ? Mon esprit ? Les deux ?

Il est 9h et je pars. Je pars de ma maison d’enfance. Ce sera surement l’un des derniers départ depuis cette maison car mes parents vont déménager.
Je passe devant l’école, devant l’église et devant le cimetière où est enterrée Lettie, la maman des voisines qui est morte il y a maintenant 15 ans.
Je passe devant la maison de ma copine Elsa, une de mes 5 copines de primaire. Quand on est arrivées au collège, les histoires ont commencé. Elsa s’est disputée avec les autres copines de la bande, pas avec moi, mais comme j’étais toujours la copine de celles avec qui elle s’était disputé, Elsa me parlait de moins en moins. Moi je m’en fichais un peu je crois. Et puis je ne comprenais rien à leurs disputes. C’était fatiguant. De toute façon je n’ai jamais rien compris aux disputes de filles.
Je passe devant la maison de ma nounou. Elle venait nous garder avec mes 3 petites sœurs quand nous étions petites.
Une fois, on est allées chez elle, pour voir sa maison. C’était une grande maison. Dans mon souvenir, c’était un peu sombre, un peu froid. Une sorte de grand manoir.
Elle avait un lit à baldaquins.
C’était un peu une sorcière cette nounou. Elle était tout le temps habillée en noir, avec des grands manteaux qui lui descendaient jusqu’aux pieds. Et puis elle avait des grandes bottes noires aussi, elle se maquillait beaucoup, elle mettait beaucoup de parfum et elle me donnait ses flacons vides parce que j’en faisais la collection. Elle avait un chat. Elle disait que le jour où son chat mourait, elle mourrait de chagrin.
Le jour où on est venues voir sa maison, elle avait caché des œufs en chocolat dans son jardin. Dans son jardin il y avait beaucoup de voitures parce que son amoureux était passionné de voitures. Elle aussi elle aimait beaucoup les voitures. Elle disait que parfois elle allait faire un tour de voiture pour le plaisir. Je trouvais ça un peu bizarre. Moi qui, dès très jeune, était très sensible aux questions d’écologie.
Beaucoup de souvenirs d’enfance me reviennent en passant devant cette maison. C’est drôle comme les lieux renferment des souvenirs bien enfouis. Les lieux sont comme des révélateurs de ce que l’on a oublié. C’est sûrement pour ça que, quand on vend une maison, quand on déménage, on est triste, parce que les souvenirs vont se dissiper, s’enterrer sous les souvenirs des prochains occupants.
Je regarde la boîte aux lettres, elle habite toujours là. Il y a son nom : Irène Danae. J’hésite un instant à aller toquer à la porte. Mais je ne le fais pas. Et puis peut-être qu’elle n’est pas là. Pourtant je crois qu’elle aurait été contente de me voir. Je crois qu’elle m’aimait bien malgré le début de ma crise d’adolescence qu’elle a dû subir parfois, je crois qu’elle m’aimait bien.

Je continue ma route et je me retrouve dans un petit chemin plein de gros galets et de gadoue. Je pousse mon vélo. C’est pénible, mais je n’aime pas faire demi-tour.

Je retrouve la route un moment, mais voilà que je me retrouve de nouveau dans un autre chemin similaire. Je pousse mon vélo. Ça monte. J’en ai marre. Je veux déjà rentrer chez moi. J’ai l’impression de ne pas avoir avancé ce matin. Je n’arriverais jamais à Grenoble avant la nuit, j’ai fait à peine 15 km. Je suis en colère contre cette nouvelle application installée hier soir sur mon téléphone. Je suis nulle d’avoir pris ce chemin. J’aurais dû mieux préparer mon itinéraire hier soir. J’ai les pieds dans la boue, il y a maintenant des grosses flaques d’eau. C’est une épreuve ou quoi ? J’ai l’impression qu’on me teste. Ca me rappelle vaguement le moment où nous avions toutes les deux poussés nos vélos, nous étions en pleine forêt, presque perdues.

Et je retrouve la route, enfin.

Les arbres sont givrés, c’est beau. Il y a aussi du soleil pendant plusieurs dizaines de kilomètres.
Je roule beaucoup. Je roule vite.

Je m’arrête dans une pharmacie pour acheter un auto-test covid. Je m’étais dit que j’en ferais un avant de partir parce que j’ai vu des gens ces derniers jours.
Je ne fais pas le test tout de suite.

Je le fais un peu plus tard sur un parking.

Je reprends la route.
Mon auto-test est dans la pochette transparente de ma sacoche avant et je le regarde toutes les 30 secondes pour voir son évolution. Au bout de 15 min il n’y a toujours pas de second trait. Je suis soulagée et peux aller chez mes ami.e.s sereinement.
J’arrive aux alentours de Grenoble par la piste cyclable. Je m’en souviens, je l’avais prise avec mon papa il y a un an.
Le brouillard est revenu.

Je traverse Grenoble et me dirige vers Domène. La nuit est en train de tomber quand j’arrive chez les Guillot. C’est avec eux qu’on partait avec mes parents et mes petites sœurs quand nous étions petites. Ils ont quatre enfants eux aussi. C’était vraiment bien de pédaler avec des copains. On a beaucoup joué ensemble dans les campings de nos itinérances. Le canal de Bourgogne, le Danube, la Suisse…
Marilou, l’ainée de la fratrie est là aussi, mais elle a le covid, enfin, c’est la fin, ça fait 10 jours qu’elle est confinée à l’étage de la maison de ses parents. Tu l’avais rencontrée je crois quand tu étais venue chez moi en Bretagne pour le nouvel an. Elle descend quand même avec son masque FFP2 pour le dessert. On a juste un an de différence avec Marilou et on est toutes les deux l’aînée d’une famille de 4 enfants. On se connait depuis à peu près toujours car nos parents sont amis depuis bien longtemps !


Maëlle

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