Divines retrouvailles.

 

Dans le cadre d’un concours de nouvelles sur le thème « Nuit blanche »

« Divines retrouvailles.

 

2 avril 2012

21h30 – Cela faisait 2 ans qu’il m’avait embrassé, que nous nous étions embrassés pour la première fois. Cela faisait deux ans que j’embrassais un garçon sur la bouche pour la première fois. Deux années entières qui s’étaient passées sans qu’un seul jour je ne pense pas à lui. J’avais essayé d’oublier, j’avais essayé qu’on soit amis, j’avais essayé que je le déteste, j’avais essayé qu’il me déteste, j’avais essayé de le remplacer. Rien ne marchait.

Il me reste aujourd’hui une solution.

Impossible de m’empêcher d’aller vérifier son profil facebook. Impossible de ne pas taper son nom sur la barre de recherche et d’éplucher un par un tous les sites qui le mentionnaient. Impossible de ne pas penser à lui lorsque je vois un homme avec des dreadlooks ou avec une guitare. Impossible de ne pas penser à lui quand je me promène dans Venise dans un endroit dans lequel j’avais caché un des indices de notre rencontre.

Il me reste une solution.

Je me suis rendue à l’évidence, il m’est clairement insurmontable d’oublier ce pirate, ce hippie, cet homme de 10 ans plus vieux que moi, ce poète, ce danseur, ce guitariste, ce circassien. Il fallait que je trouve une autre solution si je ne voulais pas passer encore le reste de ma vie à penser à lui.

Une solution.

J’ai aujourd’hui tapé son nom sur internet et je suis tombée sur un site qui renseignait son adresse :

Mr Romario ALESSENDRI

Via Domenico d’Ambra, 8

80141 NAPOLI

Je me refait une dernière fois l’histoire dans ma tête, cette annonce pour chercher un coéquipier d’auto-stop, ce mail que j’ai reçu quelques jours plus tard, cette idée du jeu de piste dans Venise, cette rencontre sous la pluie, cette lettre cachée dans la petite boîte, ce grenier dans lequel il vivait, son baiser, sa douceur, sa façon de me faire l’amour, ces regards intenses… Puis ce sms, ce message vocal, cet échange au téléphone. Non ça ne pouvait pas juste se terminer comme ça. J’en ai assez de ma fierté qui m’oblige à dire que tout va bien et que je l’ai oublié.

22h04 – Demain c’est un jour férié, je n’ai absolument rien de prévu. Je regarde les billets de trains pour aller à Naples ce soir là. Il y a des grèves en ce moment, un seul billet de disponible, il part de Venise dans 45 min et arrive à 06h15 à Naples demain. C’est juste le temps de préparer mes affaires et d’aller à la gare. Je mets dans mon sac : des préservatifs qu’il me restait et que je n’avais pas touché depuis ces deux dernières années, une coquille de noix, du thé, mon carnet noir, un stylo, une culotte, une brosse à dent, mon porte-feuille, des graines, une banane, une pomme et une tablette de chocolat noir fleur de sel. Je prends également ma veste à poche secrète, toujours prête.

22h30 – J’arrive à la gare, j’achète mon billet. Le train est déjà annoncé voie G.

22h35 – Il y a déjà deux autres personnes dans mon compartiment. Un homme et une femme, ils ne se connaissent pas je pense. La femme a une soixantaine d’années, elle est installée au bas d’un des deux lits superposés et elle lit une pièce de théâtre sur un tapuscrit (peut-être est-elle comédienne et révise-t-elle son texte ?). L’homme doit avoir mon âge, 20 ou 25 ans tout au plus. Il ne semble pas très intéressant, je le sens fermé, mou et ennuyeux (les préservatifs ne seront pas pour lui cette nuit…), il est installé sur le lit juste au dessus d’elle. Je vais prendre le bas du deuxième lit superposé.

22h45 – Je m’allonge sur ma couchette. Et j’imagine comment va se passer demain. Quand je vais revoir son regard, quand je vais le transpercer.

22h55 – Le contrôleur passe.

22h58 – Le contrôleur repasse dans l’autre sens.

23h00 – Les lumières s’éteignent.

23h30 – Je ne dors pas. Un million de scénarios différents défilent dans ma tête.

23h49 – J’ai trop chaud, j’enlève ma couverture.

3 avril 2018

00h05 – Il faut que je m’endorme. Je pense trop à lui. Que va-t-il penser pendant ces quelques minutes ?

01h02 – La comédienne lit et relit son texte à la lampe de poche. Parfois je l’entends murmurer quelques mots.

01h54 – Comme elle, je répète dans ma tête le scénario que j’ai choisi.

02h31 – Le garçon mou se réveil en sursaut tout transpirant, vu l’expression de la peur sur son visage, il vient sûrement de se faire violer par une femme dans son rêve.

03h17 – J’imagine un autre million de scénario pour les retrouvailles ironiques de demain.

03h55 – J’en ai choisi un autre, je le fait tourner en boucle dans ma tête, j’imagine les moindre détails, il me plaît.

03h59 – Maintenant je doute… Peut-être que je ne devrais pas y aller… Ce scénario est un peu trop cruel. Je continue de réfléchir.

04h10 – Je voudrais dormir pour les 2 heures qu’il me reste.

04h30 – Impossible.

04h37 – Toujours impossible.

04h40 – La comédienne se lève pour aller au toilettes.

04h45 – En se recouchant elle laisse tomber son tapuscrit par terre.

05h04 – Elle semble rendormie, j’attrape discrètement le tapuscrit. Je commence à lire les premières pages. Ce n’est pas une pièce de théâtre, c’est un poème.

06h20 – Je sors du train, me dirige vers les toilettes pour enfiler ma robe, mettre du rouge sur mes lèvres et des paillettes sur mes paupières. Puis je me dirige vers la sortie de la gare. J’en ai pour 20 minutes de marche rapide.

Le doute de la veille me reviens, je devrais peut-être faire demi-tour, reprendre un train pour Venise. Je commence à faire demi-tour. Tout à coup mon regard se pose sur une boulangerie, je n’avais touché ni à ma pomme, ni à ma banane, si la tablette de chocolat. Je vais aller acheter un croissant. Ça m’a rappelé la fois ou il m’en avait apporté un. Non je ne pouvais pas encore faire demi-tour, il fallait que j’y aille c’était la dernière solution.

06h45 – Mon cœur commence à battre très fort. Sera-t-il là ? Et s’il n’habitait pas là, et s’il avait passé la nuit chez une femme ?

7h30 – J’attends toujours devant son immeuble. Tous les volets sont fermés. Je ne peux même par regarder à quel étage il habite car les boîtes aux lettres sont dans l’immeuble et la porte d’entrée est fermée.

7h35 – Une homme sort de l’immeuble pour aller faire un footing. Je devrais peut-être aller rattraper la porte qui est en train de se fermer pour que je puisse savoir à quel étage il habite. Et puis je décide que non, que de toute façon ça ne m’avancerait pas à grand-chose. Je préfère l’attendre ici. Il va sortir faire son yoga au soleil, comme tous les matins à 8h20

8h05 – Des volets s’ouvrent au dernier étage. Évidement qu’il habite tout là haut, il a toujours habité sous les toits et dans les greniers. Paye-t-il un loyer en ce moment ? Ou bien squat-il comme à son habitude ? Je suis maintenant sure qu’il est là. Mais quand va-t-il descendre ? Et si il ne descendait pas aujourd’hui ? Et si il m’avait vu par la fenêtre ?

8h15 – La poignée de la porte de l’immeuble se baisse c’est lui c’est sur ! Je me cache derrière l’arbre sous lequel j’attends depuis 2 heures. J’enfonce ma main dans la poche secrète de ma veste, empoigne mon arme, fait glisser la gâchette et place mon doigt sur la détente. Mon cœur bas à mille à l’heure. Je vais vraiment le faire ? Je vais définitivement supprimer celui qui me fait temps souffrir depuis des mois ? La porte s’ouvre. Je tire.

8h16 – Ce n’était pas lui.

8h17 – Je suis effondrée par terre, j’ai du mal à respirer, d’énormes sanglots sortent de mon corps, je cris, je hurle, je crois que je n’y arrive même pas, je n’ai plus aucun contrôle sur moi.

8h18 – Je suis folle, je vais aller en prison et y finir ma vie. Non je dois d’abord le tuer lui. Je ne peux pas je n’ai plus de balles dans mon revolver. Je voudrais mourir. Je vais aller en prison alors que je n’aurais même pas pu le tuer lui.

8h25 – Je sursaute, une main viens d’attraper mon épaule. Je relève la tête, il est a contre jour, mes yeux sont brouillées par mes larmes. Il me dit quelque chose, je n’entend pas. Est-ce vraiment lui ? Je commence à crier, je saute à son cou et j’essaye de l’étrangler de toutes mes forces. Je n’y arrive pas. Il faut qu’il meure. Il le faut. J’irai en prison de toute façon. J’essaye de me débattre, c’est lui qui a maintenant le pouvoir sur moi, il a attrapé mes 2 mains et me les tiens derrière le dos, je suis dos à lui, impossible de m’en sortir. Il va appeler la police et c’en sera fini pour moi. Il me sert fort contre lui. Pourquoi me sert-il contre lui ? Pour que je n’essaye pas de m’enfuir ? Il me berce contre son torse. Je sens mes sanglots se calmer. Je retrouve peu à peu la raison. Je l’entend qui me dit « chut » et « ça va aller ». Mais pourquoi fait-il ça ? Il aurait déjà du prendre son téléphone et appeler le 17 ! Ah mais il n’a peut-être pas de téléphone c’est bien son genre. Il essaye de m’amadouer pour voler le mien. Il a arrêté de me tenir fort les poignets, maintenant il m’enlace simplement avec ses bras. J’essaye de me dégager, je n’y arrive pas. Il me tiens trop fort. Tellement fort que j’ai du mal à respirer. Peut-être que c’est cela qu’il veut, m’étouffer pour que je meure aussi. Mais c’est lui qui doit mourir. Il le faut. C’est la seule solution.

Sans réfléchir je cris :

-Je n’ai plus d’air laisse moi respirer !

Il détend ses bras sans pour autant me lâcher. Il a maintenant mis sa tête dans mon cou comme si il essayait de sentir mon odeur. Il continu à me dire « chut » et d’autres choses pour essayer de m’apaiser, ça c’est pour que je sois moins sur mes gardes ! Je deviens paranoïaque ! Je suis folle, je ne sais plus qui je suis, ce que je fais. C’est une sensation horrible.

Il a assez détendu ses bras pour que je puisse me retourner et regarder son visage. Une dernière fois avant qu’il meure.

8h30 – Je croise son regard, tout se bouscule dans ma tête, au moment où on se regarde il était prévu que je le transperce avec cette balle utilisée maintenant pour tuer un innocent.

Il approche son visage de moi et m’embrasse. Je sens sa langue sur mes lèvres. Il essaye d’enfoncer sa langue dans ma bouche, je ne le laisse pas faire. Je dois rester sur mes gardes. Une dernière fois avant que je le tue ? J’ouvre doucement la bouche, deux ans plus tard il a toujours le même goût. Sa moustache me chatouille toujours, je peux jouer avec son piercing. Il s’enfonce encore plus profondément, nos langues s’entremêlent. Je dois le tuer avant que la police n’arrive. Après ce sera trop tard. Plus aucune femme ne devra avoir le droit de goûter ses baisés, je serais la dernière. Il a été mon premier, je serais sa dernière ! On sera quitte comme ça !

08h35 – Il passe ses mains dans mes cheveux. Se souviens-t-il à quel point j’adore ça ? Fait-il ça avec toutes les femmes qu’il rencontre ? Il fait glisser sa main le long de mon dos. Il me caresse les fesses et me plaque contre lui. Je peux sentir son sexe dur contre mon corps.

08h37 – Il m’embrasse toujours, à quoi penses-t-il ? A-t-il compris que j’étais venue ici pour le tuer ? Pour qu’il n’existe plus ? J’essaye un instant de prendre du recul par rapport à la scène qui vient de se passer. Je suis en train d’embrasser un homme qui m’a quitté sans aucunes explications il y a 2 ans et à quelques mètres de moi il y a un inconnu au sol que je viens de tuer.

08h51 – Nous sommes dans sa chambre, sur son lit. Je suis nue au dessus de lui. Nous n’avons toujours pas échangé un seul mot. Je lui ai juste tendue un préservatif qu’il a enfilé rapidement. Son sexe rentre dans le mien et ressort en continue, la cadence s’accélère. J’essaye d’aller de plus en plus vite et de dégorger tout ma hargne accumulée ces 2 dernières années. J’y met toute ma force. Je n’ai jamais fait l’amour avec lui d’une manière aussi violente, ni avec personne d’ailleurs. Il attrape mes seins, les écrases contre ses mains. Je m’agrippe à ses cheveux et je continue de le chevaucher encore plus rapidement. J’ai envie de me battre avec lui. J’en envie qu’il ai mal.

08h59 – Ce n’était pas ce scénario que j’avais prévu cette nuit. Rien ne s’est passé comme prévu.

09h10 – J’entends la sirène de police. J’ai vu un couteau sur la table de la cuisine. Il dors profondément. Il est encore temps. Je me dirige à pas de loups dans la cuisine, j’empoigne le couteau et là j’aperçois le tapuscrit de la comédienne dépasser de mon sac, j’ai oublié de le lui rendre ce matin. Les vers de la Divine Comédie de Dante parcourus cette nuit me reviennent. »

4 commentaires

  1. C’est magnifique Maelle, très prenant. Et je trouve que c’est vraiment une belle idée de consacrer un blog à ta créativité @

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